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Eurasie

La BAII, la banque asiatique qui fait trembler Wall Street

30 Mars 2015 , Rédigé par vilistia Publié dans #BANQUE BAI, #CHINE – USA

Karel Vereycken

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Helga Zepp-LaRouche, lors d’une rencontre avec la communauté chinoise de New York, en 1997. Les caractères chinois inscrits en toile de fond, « ying si chou zhi lu nü shi », signifient « Bienvenue à la Dame de la Route de la soie ».
Crédit : Institut Schiller

Helga Zepp-LaRouche, la Nouvelle route de la soie et la BAII

Pendant une vingtaine d’années, Jacques Cheminade et nos amis politiques à l’international, l’économiste américain Lyndon LaRouche, et son épouse, Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale de l’Institut Schiller, ont « prêché dans le désert », ne recueillant que mépris parmi ceux qui aujourd’hui acclament la stratégie chinoise.

Durant toutes ces années, nous avons contribué sans relâche à élaborer cette stratégie et à la faire connaître en Europe.

Lors de la dislocation de l’URSS, Lyndon et Helga Zepp-LaRouche proposèrent de lancer un vaste plan de reconstruction des anciens pays communistes et de l’économie mondiale. Au cœur de ce projet, une « Banque internationale pour le développement » (BID).

Aux antipodes des visions malthusiennes du FMI et de la Banque mondiale, la BID de LaRouche préconisait une coopération Est-Ouest au service d’investissements majeurs dans les infrastructures de base, eau, énergie, transport, éducation et santé.

En 1995, Mme LaRouche, aujourd’hui mise à l’honneur en Chine comme« Madame Route de la soie », prenait la parole lors d’un symposium du ministère chinois du Commerce extérieur à Beijing.

Son projet ? « Construire le pont terrestre de la Route de la soie, fondement d’une sécurité commune entre l’Asie et l’Europe », centré sur une « Banque eurasiatique de développement ». Avec la création de la BAII (voir ci-dessous), la pensée visionnaire des LaRouche devient réalité.

La banque asiatique qui fait trembler Wall Street

« Un camouflet. (…) Pour le président Obama, qui a fait de l’Asie-Pacifique un pivot de sa politique étrangère, cela équivaut à une déclaration de guerre (…) un petit Pearl Harbour pour Washington ». (Le Figaro Magazine). Les mots ne manquent pas pour qualifier la décision historique annoncée le 17 mars par la France, l’Allemagne et l’Italie, devancés à la dernière minute par le Royaume-Uni : adhérer en tant que membre fondateur à la nouvelle Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (BAII en français, AIIB en anglais). « On n’est jamais aussi bien trahis que par les siens », écrit le Figaro Magazine en commentant la décision anglaise.

A la Maison-Blanche, c’est la stupeur. « Les Etats-Unis ont été totalement pris au dépourvus par le flot de pays qui se bousculent pour rejoindre la BAII », assure à l’AFP Eswar Prasad, ancien directeur du département Chine au FMI.

Car, en plus de ses alliés européens, ce sont aussi d’autres partenaires de Washington qui ont des liens commerciaux importants avec la Chine, comme la Corée du Sud et l’Australie, qui songent à rejoindre la BAII, sans oublier l’Autriche et deux places financières de premier ordre, le Luxembourg et la Suisse.

Les critiques fusent de toutes parts contre Obama, qui a totalement ignoré la main tendue de la Chine, quand son Président Xi Jinping avait solennellement invité les Etats-Unis à participer au grand projet de Nouvelle route de la soie et à la fondation de la BAII (lors du sommet de l’APEC en novembre dernier).

Pire, en coulisses, il a mené un lobbying d’enfer contre cette nouvelle banque, accusée par avance de vouloir saper les standards internationaux sur le développement. « Va-t-elle protéger les droits des travailleurs ? L’environnement ? Va-t-elle faire face à la corruption ? », s’est interrogé hypocritement le secrétaire au Trésor américain Jacob Lew, alors le gouvernement américain ferme systématiquement les yeux sur les activités criminelles de banques multirécidivistes comme HSBC.

Bien qu’officiellement elle ne cherche qu’à compléter les institutions multilatérales existantes, la BAII, qui deviendra opérationnel à la fin de 2015, a été mise sur pied par Beijing et les BRICS en contrepoint à la Banque mondiale, historiquement sous contrôle des Etats-Unis et à la Banque asiatique de développement (BAD), depuis sa fondation présidé par un Japonais.

Son succès souligné également la montée du yuan (et donc le déclin du dollar) en tant que monnaie de réserve et d’échange.

Ce glissement des plaques tectoniques de la géopolitique est d’ailleurs à mettre en corrélation avec l’irritation croissante des Européens devant la politique belliqueuse de Washington. Alors qu’avec les accords de Minsk II, Paris et Berlin tentent d’apaiser les tensions avec Moscou, Obama, qui se battra sans doute jusqu’au dernier Européen, persiste dans l’illusion dangereuse qu’il fera « capituler » Poutine sur l’Ukraine. A noter également, le fait que Total, passant outre les menaces et les sanctions, s’oriente vers le yuan et Beijing pour trouver les capitaux requis pour boucler son projet gazier en Russie.

En réalité, le ralliement massif autour de la BAII, ne montre pas un simple basculement du leadership des États-Unis vers la Chine, c’est surtout un pas de plus vers cette réorientation du système financier international pour laquelle, chez Solidarité et Progrès, nous nous battons depuis des décennies.

Aux origines de la BAII

Tout commence en mars 2013, lorsque le président chinois Xi Jinping affirme sa politique de « Nouvelle Route de la Soie » en référence à l’ancienne route commerciale et culturelle construite en 200 avant J.-C. sous la dynastie Han pour unir la Chine, l’Asie centrale, le sud de l’Asie, l’Europe et le Proche-Orient, source de prospérité, de stabilité et de paix.

Alors qu’en zone euro ou aux Etats-Unis, les grands projets et les infrastructures lourdes sont considérés comme source de dépenses « pharaoniques », la Chine a compris depuis belle lurette que des grands projets bien conçus sont un formidable vecteur pour « tracter la croissance ». C’est pourquoi elle a construit 4 800 km de réseau ferré à grande vitesse pour relier plus de 100 villes à au moins 300 km/h, le plus vaste réseau mondial de trains à grande vitesse.

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Le ministre allemand de l’Economie Sigmar Gabriel, accueillant à Duisbourg un convoi de conteneurs parti environ 16 jours plus tôt de Chongqing, une ville au cœur de la Chine.
Crédit : duisburg.de

Ce qu’elle a su faire au niveau national, la Chine entend aujourd’hui le réussir au niveau international. Ce n’était donc pas un hasard si, lors de sa première visite en Allemagne en mars 2014, Xi Jinping avait choisi la ville de Duisbourg, premier port intérieur au monde, situé dans le bassin industriel de la Ruhr. Accompagné d’une importante délégation chinoise et du ministère allemand de l’Économie Sigmar Gabriel, il avait accueilli en grande pompe un convoi de conteneurs chargés d’articles électroniques parti environ 16 jours plus tôt de Chongqing, une ville au cœur de la Chine.

Cependant, il y a plus. Car, au-delà des infrastructures de transport terrestres et maritimes, il s’agit du développement d’une « ceinture économique », véritable mobilisation de toutes les potentialités de chacun tout au long du trajet.

Or, pour étendre cette politique d’« Une route, une ceinture » à l’international, il faut du financement. C’est pour cela, à peine quelque mois après l’annonce que la nouvelle route de la soie sera la politique étrangère officielle de la Chine, Xi Jinping évoqua, lors d’un voyage en Indonésie en octobre 2013, que la Chine lancera la BAII et que Beijing traduira son rêve en actes.

Pourquoi une nouvelle banque ?

Si certains s’interrogent, la raison d’être d’une nouvelle banque s’impose d’elle-même. D’abord, il faut savoir que, selon un rapport de la Banque asiatique du développement (BAD) publié en 2010, les besoins en infrastructure en Asie s’élèvent à pas moins de 8000 milliards dollars entre 2010 et 2020.

Ensuite, avec la mondialisation financière, l’argent tend à n’enrichir que ceux qui le font tourner en rond et n’investissent jamais ! Pour être précis, c’est à peine 50 milliards de dollars (5 %) des flux d’argent qui servent le commerce mondial, alors que le reste, 990 milliards de dollars (95 %), ne sont que des transactions purement financières.

A cela s’ajoute le fait que depuis des décennies, aussi bien la Banque mondiale, sous la coupe de Washington, que la Banque asiatique de développement (BAD), sous la coupe de Tokyo, ont bloqué tout investissement majeur dans les grandes infrastructures. Evoquant des prétextes fallacieux, il s’agit en général de maintenir tout simplement l’hégémonie politique des « bailleurs de fonds » en faisant obstacle au développement. Et avec la crise des liquidités de 2008, les robinets se sont définitivement fermés.

Et ceci alors que, à l’échelle mondiale, des 10 000 milliards de dollars de réserves, 40 % se trouvent en Asie. Rien qu’en Chine, après trente ans de croissance à deux chiffres, il s’agit d’un « pactole » de plus de 4000 milliards de dollars.

Ainsi, devant le blocage du monde financier occidental, la perspective d’un effondrement du dollar qui pourrait diluer la valeur de cette trésorerie, Beijing, estime qu’elle n’a pas d’autre choix que de mettre sur pied ses propres institutions financières, à même d’investir son argent dans l’économie réelle.

A l’opposé du « court-termisme » de nos spéculateurs, pour Beijing, sécuriser, dans le siècle à venir, les approvisionnements en matières premières, en énergie et en nourriture restent la priorité stratégique. Éviter une guerre mondiale ou des conflits inutiles, en partageant les fruits de sa croissance, fait également partie de la vision stratégique chinoise du « gagnant-gagnant ».

Le succès

Et c’est précisément cette démarche qui connait un intérêt sans précédent. Quel pays ne rêve pas de pouvoir disposer de crédits bon marché sans devoir se mettre en esclavage en souscrivant aux « conditionnalités » imposé par Washington ou la Troïka en Europe ? Le succès est tel, qu’en juin 2014, la Chine a proposé de doubler le capital initial de la BAII de 50 milliards à 100 milliards de dollars et a invité l’Inde à en devenir membre fondateur.

Résultat ? Lors de son lancement officiel le 24 octobre 2014, vingt pays ont rallié Pékin : les voisins et futurs destinataires des financements chinois tels que le Cambodge, le Laos, le Vietnam, la Malaisie, la Birmanie ou les Philippines mais aussi le riche Kazakhstan, Singapour et certains pays du Golfe comme Oman et le Qatar.

Et comme nous l’avons dit, plus récemment, c’est les quatre plus grands pays d’Europe, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume Uni, mais aussi deux centres financiers majeurs, le Luxembourg et la Suisse qui ont clairement fait savoir à Washington qu’ils refusent de regarder passer « le train chinois de la finance » en restant à quai.

L’Amérique toujours invitée

Face à l’ire de Washington, Beijing a décidé de rester zen. Patient mais déterminé, le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Zhang Yesui, s’adressant le 23 mars au China Development Forum de Beijing, a renouvelé l’invitation chinoise à l’Amérique :

La Chine et les États-Unis partagent beaucoup d’intérêts mutuels et il existe de la marge pour une coopération en Asie-Pacifique, une région qui devrait devenir une priorité en vue de construire un nouveau modèle de relations entre grandes puissances.

Aux commentateurs occidentaux qui n’y voient que des manœuvres machiavéliques ou une offensive sournoise du « soft power » chinois, Yesui répond :

Les initiatives chinoises de Route et de Ceinture économique de la soie vont faciliter la coopération économique et ne sont pas des instruments géostratégiques… D’ailleurs, elles ne ciblent aucun pays ou organisation particulière ». Ces projets, a-t-il précisé, « obéissent aux principes de la consultation, de la construction et du partage. Il s’agit d’une plateforme ouverte et inclusive de coopération régionale, prenant pleinement en compte la position, les intérêts et ce qui convient le mieux à chacun…

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La France découvre la vision de la Chine

Ci-dessous les déclarations de quelques personnalités françaises, en soutien à la stratégie chinoise d’une Nouvelle route de la soie. Nous leur disons : « Bienvenue aux ouvriers de la dernière heure ! »

Intéressons-nous au grand projet chinois

Jean-Pierre Raffarin. Récit écrit à son retour d’un voyage en Chine, publié le 31 octobre 2014 sur son blog.

« L’Europe est plus une inquiétude économique qu’une obsession politique chez nos amis chinois. La France reste cependant en bonne place et le Président Xi Jinping se félicite d’avoir construit une relation solide avec François Hollande grâce, notamment, à une vision commune du monde multipolaire.

« Xi Jinping décrit simplement ses principes diplomatiques : 1) pas de conflit ni de confrontation ; 2) respect mutuel de l’indépendance nationale de chacun ; 3) coopération équilibrée et renforcée avec les grands Pays. (…) Les Chinois sont à nouveau très attentifs aux possibilités d’investissements en France. Tous ces objectifs ont des échéances, celles des ‘centenaires’, à court terme 2020, à moyen terme 2049. Nous aurions grand tort de ne pas nous intéresser au grand projet chinois qui nous concerne directement : la ceinture économique de la nouvelle route de la soie. »

Faisons le pari de la Nouvelle route de la soie

Dominique de Villepin, ancien Premier ministre. Les Echos, le 25 février 2015.

« La mondialisation change de forme et de centre de gravité et c’est à peine si nous nous en rendons compte, enfermés dans nos débats internes français et européens, engoncés dans une pensée de la mondialisation occidentale et libérale, emprisonnés par des outils financiers et économiques d’un autre temps. Un projet symbolise ce basculement, c’est celui de la nouvelle route de la soie, dont la présidence de Xi Jinping a fait une priorité économique et diplomatique de la Chine.

« Dans un monde financier volatil et instable, il est urgent de prendre en main les projets de long terme, à travers de nouveaux outils multilatéraux, à l’image du Fonds asiatique (…). Les Chinois souhaitent des partenariats entre groupes européens et chinois pour conquérir des parts de marché le long de cette route, pour créer des synergies dans les capacités technologiques, administratives et commerciales. C’est une chance pour l’Europe dans les projets de transports et les services urbains, où la France est en pointe (eau potable, électricité, éclairage, hôtels), ainsi que pour des partenariats communs à destination de pays tiers, africains par exemple. L’Europe prendrait la mesure de ce défi en s’efforçant d’articuler le plan Juncker d’investissement de 300 milliards d’euros à une feuille de route définie en commun autour du thème de la route de la soie. »

S’abstenir serait un aveuglement stratégique

Extraits d’un article publié sur le site du Huffington Post, le 6 mars 2015, parDavid Gosset, sinologue, fondateur du Forum euro-chinois et directeur à la China Europe International Business School (CEIBS) de Shanghai, Beijing et Accra.

« Certains observateurs souligneront que le regain d’intérêt de Pékin pour le continent eurasiatique peut être compris, en termes géopolitiques, comme une réponse au pivot américain vers l’Asie initiée par l’administration de Barack Obama, cependant, la "Nouvelle Route de la Soie" ne doit pas être interprétée comme une réaction tactique qui s’opposerait à d’autres initiatives, elle vient tout simplement s’ajouter à des relations bilatérales entre la Chine et les Etats-Unis qui veulent être ‘d’un nouveau type’. Plus généralement, la Chine ne définit pas sa politique étrangère de manière négative en s’opposant à tel ou tel, elle est en recherche constante de synthèses dynamiques dans un réseau de relations inclusives ».

La Chine « a intégré l’idée que la puissance doit être synonyme de responsabilité et que cette dernière renforce, d’ailleurs, la première. De ce point de vue, la ‘Nouvelle Route de la Soie’ est un plan Marshall aux caractéristiques chinoises, elle rassure les pays qui voisinent avec une grande puissance responsable, contribue à leur croissance tout en les plaçant, certes, dans un ordre qui aura d’abord été conçu par Pékin. (…) Ce sont en partie de grands projets d’infrastructure qui ont contribué à l’unité du monde chinois - la Grande Muraille, le Grand Canal et plus récemment un réseau gigantesque de trains à grande vitesse par exemple -, c’est donc avec une expertise inégalée que Pékin propose de partager une expérience qui présuppose une vision de long terme et qui génère de la cohésion. Ce serait pour le premier partenaire commercial de la Chine, l’Union européenne, tout simplement de l’aveuglement stratégique que de manquer les opportunités offertes par Xi Jinping dans une vision dont la portée va bien au-delà de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). »

Les Français sous-estiment l’importance de la Nouvelle route de la soie

Extraits d’un entretien de Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur de France à Beijing, publié le 23 mars en chinois sur le site french.china.org.cn.

« A l’occasion de sa visite en Chine, le Premier ministre français a adressé le message suivant au gouvernement et investisseurs chinois : ‘la France ouvre la porte aux investissements chinois et crée des conditions favorables à cet égard’. (…) Les investissements de type productif des entreprises chinoises se multiplient progressivement en France, avec la réussite de projets de coopération comme ceux de l’usine de production de lait en poudre Synutra en Bretagne et le rachat de l’aéroport de Toulouse en coopération avec le Canada ».

Cependant, « les entreprises chinoises ne doivent pas être spéculatives dans leurs investissements. Les véritables investissements signifient la création en commun de l’avenir. Ce qu’il faut faire sur le marché français, connu pour sa stabilité, ses bases solides et son avenir assuré, c’est investir sur le long terme. Il est très important d’en prendre conscience ».

A propos de la Nouvelle route de la soie, l’ambassadeur estime qu’« il s’agit d’une politique stratégique avec une vision de l’avenir, alors que les Français ne se rendent pas pleinement compte de son importance et des opportunités qu’elle peut apporter. (…) Je pense que la France doit comprendre cette vision, s’adapter et en saisir les opportunités. Nous pourrons, par exemple, construire un chemin de fer à grande vitesse entre la Chine et Lyon, le terminus de la Route de la soie. »

http://www.solidariteetprogres.org/la-banque-qui-fait-trembler-wall-street.html


 

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