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Eurasie

La puissance militaire chinoise et le réarmement de l’Asie

23 Mars 2015 , Rédigé par vilistia Publié dans #CHINE, #EURASIE ARMEMENT

[21 mars 2015] • François Danjou

Le 5 mars à l’ouverture de la session annuelle des assemblées, la Chine a annoncé une hausse de 10,1% du budget consacré à sa défense. Même si elle marque un fléchissement par rapport celle de 2014 (+12,2%), l’augmentation poursuit une tendance résolument ascendante à deux chiffres depuis 1989 qui s’accélère depuis 2002 pour porter le budget de la défense en 2015 à 141,45 Mds de $. Elle confirme la 2e place de la Chine au palmarès mondial des dépenses militaires, et celle de première puissance militaire d’Asie, il est vrai, très loin derrière les États-Unis, dont le budget défense 2015 est officiellement de 575 Mdsde $.

Lire OFFICE OF THE UNDER SECRETARY OF DEFENSE (COMPTROLLER)/ CHIEF FINANCIAL OFFICER (document PDF).

Au passage pour relativiser les discours sur l’ambiguïté des chiffres chinois, notons que si on ajoute aux chiffres officiels américains le coût des opérations extérieures, celui des agences civiles de défense et les pensions, le budget du Pentagone dépasse 780 Mds de $.Source. Par comparaison, le budget français, 5e mondial, qui était équivalent au budget chinois en 1995, est aujourd’hui de 31,4 Mds d’€ (34 Mds de $), soit plus de 4 fois inférieur à celui de la Chine.

La détermination de Pékin de moderniser ses armées, associée aux inquiétudes nées des affirmations de souveraineté de Pékin en mer de Chine de l’est et du sud, crée des inquiétudes chez les riverains ; elle déclenché un vaste mouvement de modernisation des forces auquel contribuent les exportations d’armes russes , françaises, américaines, sud coréennes et parfois même chinoises.

Le destroyer Haikou (à gauche) et la frégate Yueyang ont participé en 2014 à la manœuvre américaine RIMPAC, en même temps que le navire logistique Qiandaohu (Photos Reuters).

Les chiffres chinois traduisent deux tendances. La hausse qui, pour la 4e année consécutive, dépasse nettement celle de la croissance, marque la volonté évidente de renforcer sans faiblir la puissance militaire – nombre d’experts chinois et étrangers qui comparent le budget chinois à l’américain estiment en effet que la hausse répond à peine aux vastes défis de sécurité de la Chine -.

La priorité accordée à la sécurité nationale se traduit aussi par les choix d’allocation de ressources. La somme des budgets défense et sécurité publique réunis : 104.1027 milliards de RMB (170 Mds de $) – de loin le premier poste de dépenses chinois – dépasse de presque 50% celui des affaires sociales ; elle est plus du double du budget de l’éducation nationale et le triple du poste de santé publique.

…qui veille cependant à protéger l’équilibre budgétaire.

En même temps, le freinage de la hausse par rapport à 2014 exprime le souci de protéger les équilibres budgétaires, même si ces derniers sont de plus en plus difficiles à tenir comme l’indique le creusement des déficits publics. Autant qu’on puisse se fier aux chiffres officiels, la part du budget militaire dans le budget général du pays et son rapport au PNB montrent en effet que Pékin veille à ne pas répéter l’erreur de l’URSS qui avait laissé ses dépenses militaires peser de manière insupportable sur l’économie du pays.

Si on examine la part de la défense dans le budget général, on constate d’abord que la hausse des dépenses militaires est légèrement inférieure à celle du budget général (+10,1% contre +10,4%) et que leur part des dépenses publiques est de l’ordre de 5%. Quant au pourcentage par rapport au PNB, depuis la fin des années 80, il stagne très en-dessous des 2% (les chiffres officiels chinois rappelés par Chen Zhou chercheur à l’Académie des Sciences Militaires, situent le pourcentage entre 1,3 et 1,5%, contre 3% aux États-Unis).

Un choix déterminé appelé à durer.

Les discours du régime engagé dans un mouvement de modernisation dont la puissance militaire a toujours été un des piliers, indiquent que la tendance à la hausse des dépenses de défense est appelée à durer. Autant qu’on puisse le déduire de la documentation ouverte et des déclarations chinoises dont celles de Fu Ying, ancienne ambassadeur à Manille, Canberra et Londres, aujourd’hui porte parole de l’ANP, il est probable que les dépenses militaires seront consacrées à la paye du soldat et à l’amélioration de ses conditions de vie qui, selon l’International Institute for Strategic Studies (IISS), absorbent au moins 30% du budget.

Au passage, reprenant les arguments contre la Maison Blanche que le régime développe depuis 2010, Fu Ying n’a pas manqué de critiquer Washington dont le budget militaire est égal à la somme des 10 autres pays en tête, après les Etats-Unis, de la liste mondiale des dépenses de défense : « nos succès reposent sur la réforme et l’ouverture ; au lieu de la “diplomatie de la canonière “ nous avons mis en œuvre des coopérations à l’avantage de tous qui ont permis d’ouvrir la voie du développement pacifique ».

La marche vers la haute technologie.

Quant aux équipements, leur sophistication technologique croissante et leur nombre dont la Chine estime devoir se doter justifient amplement une hausse du budget très supérieure à la croissance. La priorité navale ne fait pas de doute (sous-marins, unités amphibies, nouveau porte-avions), à quoi il faut ajouter les missiles anti-navires, les hélicoptères, les chasseurs furtifs, les drones et les moteurs d’avions pour lesquels 49 Mds de $ avaient récemment été dégagés sur 20 ans au profit de Xi’an Aero Engine, 西安航空动力股份有限公司, (Xi’an Hang Gong Dong Ji Gufen Youxian Gongsi), un des n°1 des moteurs militaires.

Un effort particulier est en cours pour augmenter la mobilité des unités terrestres et leurs capacités de projection en phase avec les tensions en mer de Chine, ce qui suppose d’équiper l’APL en avions de transport longue distance tels que l’avion cargo Y 20 (premier vol le 20 janvier 2013, 10 000 km de rayon d’action avec une unité aéroportée à bord ou 5000 km avec 60 tonnes de charge). Le tout est appuyé par l’informatisation des unités, le développement des aptitudes à la « cyberguerre » en utilisant le soutien des satellites d’observation et de communication. De plus en plus les équipements de l’APL sont fabriqués en Chine.

La Chine 3e exportateur d’armes…

L’observation des salons d’armement et aéronautiques montre en effet qu’au cours des 10 dernières années la Chine a réduit ses importations d’équipements militaires, tandis qu’elle a entrepris de construire une industrie de défense performante. L’ambition des grands constructeurs navals et aéronautiques chinois tels China State Shipbuilding Corporation (CSSC) 中船集团, Aviation Industry Corporation of China (AVIC) 中航空工业集团公司 et China Aerospace Science and Industry Corporation (CASIC) 中国航天科工集团公司 est de se mettre peu à peu en mesure d’imiter leurs modèles américains comme Lockheed Martin et Northrop Grumman ou britannique tels BAE Systems.

…loin derrière les États-Unis et la Russie.

La stratégie fonctionne puisqu’un rapport du SIRPI de mars 2015 révèle qu’entre 2010 et 2014 les importations d’armement chinoises ont diminué de 42%, réduisant les achats aux grands fournisseurs (Russie, France, Ukraine dont les parts de marché sont respectivement de 60%, 16% et 13%). Dans le même temps, la Chine s’est hissée au troisième rang des exportateurs d’armement avec 5% des parts de marché, à égalité avec la France et l’Allemagne dont les ventes sont en recul, cependant loin derrière les États-Unis et la Russie qui à eux deux cumulent 58% des parts de marché (États-Unis 31% ; Russie 27%).

Selon le rapport, au cours des 5 dernières années les ventes d’armement de la Chine ont augmenté de 143% avec 60% des produits – assez souvent des équipements navals et des avions de combats aux prix défiant toute concurrence comme le chasseur JF-17 - destinés au Pakistan, au Bangladesh, au Myanmar et l’Indonésie, au Venezuela, à l’Algérie et à 18 pays africains.

Il reste que la croissance régulière et soutenue des dépenses militaires depuis un quart de siècle, créent un malaise en Asie qui induit mécaniquement la hausse des dépenses militaires de la zone.

Mais l’inquiétude ne vient pas tant de l’imprécision des données chiffrées sur la R&D, les pensions et salaires, les achats d’armements, la 2e artillerie et les forces nucléaires stratégiques, au point que le SIPRI estime que les dépenses militaires chinoises dépassent de 50% les chiffres officiels et que leur part du PNB est au-dessus de 2%.

Elle s’alimente surtout des revendications exorbitantes de Pékin en mer de Chine du sud et les récentes opérations de remblaiement d’une série d’une série d’îlots de l’archipel des Spratlys. Lire : Nouvelles tensions en mer de Chine du Sud.

L’Asie réarme.

Janvier 2014, les officiels vietnamiens à Cam Ranh pour accueillir un sous marin Kilo construit en Russie.

Les équipements les plus prisés par les voisins sont, sans surprise, les avions de combat et les équipements navals, dont les sous-marins.

Le Japon a stoppé la réduction des dépenses militaires.

En 2015, le budget militaire du Japon, porté à 42 Mds de $ a augmenté de 2,8% pour la troisième année consécutive mettant fin à une baisse qui durait depuis 11 années. En 2013 les Directives de défense avaient prôné une coopération dynamique entre les trois armées et, à l’été dernier, Tokyo avait rendu public son livre blanc annuel sur la défense, au milieu des initiatives de Shinzo Abe pour réinterpréter l’esprit pacifiste de la constitution, avec cependant un soutien très mitigé de l’opinion. Le document qui était une redite de celui de 2013, déjà très critique des initiatives chinoises, exprimait la crainte de l’administration Abe face à la montée en puissance de l’APL.

Le plan d’équipement aéronaval japonais prévoit 23 avions de patrouille maritime P-1 à long rayon d’action fabriqués par Kawasaki, 6 sous-marins, 6 destroyers équipés de dispositifs anti-mines, la modernisation de 2 destroyers AEGIS de la classe Atago qui portera la flotte à capacité anti-balistique à 8 destroyers, le doublement et la modernisation de la flotte d’AWACS portée à 8 et 42 chasseurs multi-rôles F-35A de Lockheed Martin. Les forces terrestres ne seront pas en reste avec la création d’une brigade amphibie de 3000 hommes dotée de 52 véhicules d’assaut amphibie et divers autres équipements aéroterrestres tels que des lances missiles anti-navires mobiles ou l’aéronef birotor MV-22.

L’Inde : +11%. Marine, aviation, troupes de montagne

En Inde, - n°1 sur la liste des importateurs d’armes – l’augmentation du budget a été de 11% qui a haussé le poste défense à 38,5 Mds de $.

A côté des priorités accordées à l’aviation de combat (achat de 126 Rafale à la France pour 15 Mds de $) et à la marine (le plan d’équipement prévoit qu’en 2025 les forces navales disposeront de 10 destroyers, 24 frégates, 20 corvettes et 34 sous-marins), la situation aux frontières avec la Chine a également retenu l’attention du gouvernement Modi.

De nouvelles unités de montagne porteront les effectifs déployés dans l’Himalaya à 90 000 hommes, soit l’équivalent de 6 divisions. En janvier, l’armée indienne a testé un missile balistique de plus de 4000 km de portée tiré contre une île du golfe du Bengale au large de ses côtes orientales.

Le Vietnam : Marine, chasseurs de combat, missiles anti-navires.

Le Vietnam vient de prendre possession de son troisième sous-marin d’attaque de type Kilo de fabrication russe commandé en 2009 et dont le premier exemplaire d’une série de 6 pour le prix total de 2 Mds de $, avait été livré à Hanoi en novembre 2013. Les sous-marins sont seulement l’un des volets des nouvelles capacités vietnamiennes. Hanoi a également commandé 6 frégates de type Gepard 3-9 russes dont les 2 premières ont été livrées en 2011.

Equipées d’un sytème anti-aérien – missiles et canons - contrôlé par radar, de missiles anti-navires et d’un sonar anti sous-marin, les frégates s’ajoutent aux 10 patrouilleurs rapides de la classe Molniya fabriqués au Vietnam avec l’assistance des ingénieurs navals russes dont la redoutable puissance de feu anti-navires est basée sur 8 missiles subsoniques Kh-35 E, fabriqués au Vietnam et 4 missiles Moskit / SS-N-22 supersoniques.

La marine prendra également livraison de 4 corvettes hollandaises furtives SIGMA équipées de missiles anti-aériens Mistral et d’Exocet anti-navires de fabrication française, avec un système de combat et un sonar anti-sous-marin également produit par le Français Thalès. Parallèlement aux équipements navals, le Vietnam renforce sa vieille flotte d’avions de combat MiG-21 et SU-22 par les plus récent SU-27 et dernièrement des SU-30, dont les capacités de combat aéronautiques modernes seront cependant limitées en l’absence de ravitailleurs capables de garantir l’autonomie sur zone et sans avions AWACS qui assurent l’alerte et la coordination indispensables avec des appareils aussi rapides.

Philippines, Malaisie.
Petits moyens, priorité à la marine et aux chasseurs légers.

Les autres acteurs du théâtre clairement engagés dans la modernisation de leurs capacités de défense sont les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie. C’est probablement Manille dont les forces armées étaient le plus en retard et les moins bien dotées qui font l’objet du redressement le plus spectaculaire. Le budget de la défense 2015 a été rehaussé à 2,7 Mdsde $, aujourd’hui le 3e poste de dépenses du pays, cependant très loin derrière les budgets sociaux et celui de la lutte contre les catastrophes naturelles.

En dépit de la faiblesse des moyens financiers, les commandes d’équipements comprennent 12 avions de combat légers KAI-T 50 coréens à quoi s’ajoutent 10 patrouilleurs maritimes multi-rôles japonais dont la livraison sera terminée en 2015, 2 navires logistiques commandés à l’Indonésie, 21 hélicoptères neufs achetés au Canada et à la Grande Bretagne et 2 avions logistiques C.130 achetés aux États-Unis. Parmi les appels d’offre en cours : 6 avions d’appui-sol, 2 frégates, 2 avions de patrouille maritime, des hélicoptères anti-sous marins et des gardes-côtes.

Le budget de défense de la Malaisie qui s’inquiète des rivalités entre la Chine et les Philippines autour du récif des James Shoal (Lire notre article Vacuité diplomatique et crispations militaires dans le Pacifique occidental) n’est pas non plus très élevé.

Mais à 5,4 Mds de $, en augmentation de 10% en 2015, il est le double de celui de Manille. En discussion budgétaire : l’achat de 8 corvettes lance-missiles et 6 hélicoptères de lutte anti-sous marine, à quoi s’ajouterait l’achat de patrouilleurs et la modernisation des torpilles et missiles de la marine, pour un prix total de 2,86 Mds de $.

Le raidissement indonésien. Important effort militaire.

En Indonésie la campagne présidentielle qui conduisit en 2014 à la victoire le très populaire et très énergique gouverneur de Djakarta Joko Widodo, avait en partie été placée sous l’exigence de renforcer la défense face aux pressions des revendications de souveraineté chinoises. En juin 2013, déjà à la session annuelle du Shangrila Dialogue, le ministre de la défense Purnomo Yusgiantoro qui s’était cependant gardé de provoquer Pékin, avait souligné la nervosité générale des pays riverains de la mer de Chine du sud.

Même le très modéré ministre des Affaires étrangères Marty Natalegawa avait donné de la voix au printemps 2014 pour demander à Pékin d’expliquer la logique sa « ligne en 9 traits » qui empiète sur la ZEE des Natuna abritant l’un des plus vastes gisements de gaz au monde avec des réserves estimées de 1300 Mds de m3, tandis que, durant la campagne, Widodo avait promis de porter les dépenses de défense à 1,5% du PIB.

Depuis, un consensus est né autour d’un plan de modernisation des forces qui court jusqu’à 2029. Baptisé « Minimum Essentiel Force – MEF - », il prévoit l’acquisition de chars, de sous-marins, d’hélicoptères et d’avions de combat, avec un projet d’Indonesian Aerospace de construire un chasseur de combat conjointement avec la Corée du Sud.

Au total dit le ministère de la défense, le gouvernement envisage de doter les forces de 274 navires de combat, de sous marins, de 10 escadrons de chasseurs (100 appareils), de 12 sous-marins Diesel, d’hélicoptères et de chars de combat achetés auprès de fournisseurs aussi variés que la Turquie, l’Allemagne (chars Léopard), la Russie pour les sous marins, les États-Unis (hélicoptères Apache).

Lire aussi : Nouvelles tensions en mer de Chine du Sud

 

 

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