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Eurasie

Russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne : l’essai de Guy Mettan sort en Russie

28 Mai 2016 , Rédigé par vilistia Publié dans #RUSSOPHOBIE

L’édition russe de « La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne » sortira en même temps que sa version italienne, et des traductions serbe et chinoise sont attendues pour la fin de l’année.

Guy Mettan. Crédits : Rusina Shikhatova / LCDR
Guy Mettan. Crédits : Rusina Shikhatova / LCDR

Guy Mettan, ancien directeur et rédacteur en chef de La Tribune de Genève, a des attaches fortes avec la Russie. « En 1994, j’ai adopté une fillette russe, et je suis venu à plusieurs reprises en Russie par la suite, a-t-il confié au public russe, le 26 mai, à Moscou, à l’occasion de la sortie de la traduction de son essai. Et à chaque fois, j’ai été frappé de constater la différence entre la réalité du pays et l’image véhiculée par les médias. »

C’est en 2014 que le journaliste décide d’analyser les raisons de ce décalage de façon approfondie, suite aux Jeux olympiques de Sotchi, qui sont pour lui l’événement déclencheur. « Avant et pendant les JO, la presse occidentale a dénigré la Russie de façon incroyable, se souvient-il. Alors qu’au final, il s’agissait des meilleurs Jeux olympiques d’hiver de l’histoire. »

Guy Mettan s’est ainsi posé la question suivante : pourquoi les médias européens présentent-ils une image aussi négative de la Russie ? Il a cherché des éléments de réponse dans l’Histoire, remontant jusqu’à l’époque de Charlemagne et des luttes religieuses du XIe siècle. Charlemagne, en bâtissant son empire, avait besoin de discréditer Byzance, son principal « concurrent », analyse Guy Mettan. L’empereur a donc affirmé que les habitants de Byzance étaient des barbares sous-développés, vivant sous la tyrannie. « Et l’on retrouve exactement les mêmes clichés, au fil de l’Histoire, dans tous les récits de voyageurs européens en Russie », poursuit le journaliste. Pour Guy Mettan, la Russie étant considérée comme l’héritière spirituelle de Byzance, elle s’est automatiquement retrouvée victime, elle aussi, de cette image fantasmée et dégradante. « Les préjugés antirusses sont enracinés dans l’inconscient collectif de l’Occident », conclut Guy Mettan.

« Évidemment, la Russie mérite des critiques, ce n’est pas un pays parfait. Mais la presse et les gouvernements occidentaux ne parlent que de ses défauts. Et c’est ce que je voulais corriger avec mon livre. Parce que plus les Occidentaux connaissent la Russie, plus ils la considèrent de façon positive », assure Guy Mettan, qui cherchait « à lancer le débat » sur la russophobie en français, et est heureux qu’il se poursuive dans d’autres langues.

La préface de la version russe est signée par le journaliste russo-franco-américain Vladimir Pozner. « Ce livre est important en ce qu’il aborde un sujet dont personne, jusque-là, n’avait parlé de façon constructive », note le chroniqueur.

guy mettan Russophobie
Version russe de « Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne » de Guy Mettan. Crédits : LCDR

L’édition russe de La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne sortira en même temps que sa version italienne, et des traductions serbe et chinoise sont attendues pour la fin de l’année.

Guy Mettan : « La guerre en Ukraine a fait renaître des clichés vieux de plus de mille ans »

On a recyclé le vieux discours contre le despote – Poutine égale Staline, Poutine égale Hitler.

 Guy Mettan vient de publier un essai sur l’histoire de la russophobie de Charlemagne à nos jours aux éditions des Syrtes. Retour sur son enfance dans les Alpes suisses, l’adoption de sa fille dans un orphelinat de Vladimir, la guerre en Ukraine, les Jeux olympiques de Sotchi ou l’attentat de Beslan.
Guy Mettan. Crédits : Rusina Shikhatova / LCDR

Guy Mettan. Crédits : Rusina Shikhatova / LCDR

Le Courrier de Russie : Parlez-nous de votre enfance.

Guy Mettan : Je suis né dans un village des Alpes suisses, à côté de la plus vieille abbaye de la chrétienté, fondée en 515 et qui fête ses 1 500 ans cette année. Je viens d’une famille de paysans du côté maternel et d’ouvriers du côté paternel, mon père travaillait dans une usine chimique.

LCDR : Quand la Russie a-t-elle fait irruption dans votre vie ?

G.M. : En décembre 1994, ma femme et moi nous sommes venus adopter notre fille, originaire de la région de Souzdal, qui se trouvait dans un orphelinat de Vladimir. C’était une époque de grande tension, les enfants mouraient de faim dans les orphelinats, rien ne marchait… Ce fut l’une des expériences les plus émouvantes de ma vie, nous serions repartis avec tous les enfants de l’orphelinat si cela avait été possible.

LCDR : Ensuite ?

G.M. : Je suis devenu russe ! En 1992, la Douma avait changé la loi pour permettre à ceux qui avaient un lien de parenté avec un ressortissant russe d’obtenir la nationalité, ma fille l’étant, j’ai fait la demande et j’ai reçu mon passeport, soi-disant sur autorisation du président Eltsine – toute la famille est donc devenue russe, nous étions en 1998, en plein cœur de la crise, tout le monde cherchait à fuir et moi, je devenais russe !

On dit Kiev a déclaré que… sans jamais citer la partie russe.

LCDR : Quelle est, selon vous, l’origine du sentiment russophobe ?

G.M. : Avant de répondre à cette question, je voudrais dire qu’après trente ans dans la presse et vingt ans d’observation de la Russie, je suis frappé par la façon dont les médias occidentaux parlent de ce pays, systématiquement tronquée et négative. Ça m’a choqué pour les JO de Sotchi, le russian bashing a atteint un niveau incroyable, la Russie a dépensé beaucoup, il y a de la corruption… Là-dessus arrive Maïdan et, de nouveau et d’une manière incroyable, une vision totalement antirusse où l’on ne donne jamais la parole aux Russes. On dit « Kiev a déclaré que… » sans jamais citer l’autre partie, ce qui paraît contraire à l’éthique journalistique ; on m’a appris à confronter les points de vue…

LCDR : Quelle fut la genèse de votre livre ?

G.M. : J’ai eu d’abord l’idée de faire une étude de la russophobie médiatique, et j’ai pris quatre cas où la Russie était attaquée sans qu’on ne puisse rien lui reprocher. Le crash de l’avion russe en Suisse en 2002 – on a tout de suite évoqué la faute du pilote russe, sans rien savoir de ce qui s’était passé : le pilote avait bu, il ne parlait que russe, le Tupolev était vieux, la mafia était derrière en filigrane… et puis, quarante-huit heures plus tard, on découvrait que le pilote russe parlait anglais et que c’était l’aiguilleur suisse qui avait commis la faute entraînant la collision.

À Beslan, la presse prend fait et cause pour les terroristes.

LCDR : Quels autres cas aviez-vous sélectionnés pour votre étude initiale ?

G.M. :Beslan, en 2004 : on a 1 000 enfants pris en otages pendant 72 heures, mais la presse prend fait et cause pour les terroristes sans aucune sympathie pour les enfants, on lit que le gouvernement russe n’a pas assez parlementé avec les Tchétchènes, qu’il aurait dû négocier, leur offrir un territoire en Tchétchénie… il y a même une lettre signée par 115 personnalités, dont Vaclav Havel [1er président de la République tchèque], qui accuse Poutine, c’est extraordinaire qu’on adopte ce ton-là sans qu’il y ait un mouvement de sympathie pour les enfants ! C’est un peu comme si, après le 11 septembre, on avait accusé Bush de n’avoir pas été assez gentil avec Ben Laden – il aurait dû le recevoir, lui donner un territoire, ses revendications étaient justes… On aurait crié au fou, on aurait pendu le journaliste, ce ne sont tout de même pas les Russes qui ont attaqué !

LCDR : D’autres cas ?

G.M. : La guerre en Géorgie ; une enquête menée par le Conseil de l’Europe a établi que Saakachvili avaitattaqué mais, en 2015, dans la presse anglo-saxonne ou française, on lit encore que ce sont les Russes qui ont attaqué. Les Jeux de Sotchi : il y a une famille déplacée, des robinets qui ne marchent pas, de la corruption ; mais il y a eu de la corruption à Salt Lake City et à Atlanta, où un jugement a été rendu, et on n’en parle pas.

On ne peut pas envahir le même endroit plusieurs fois.

LCDR : Et l’Ukraine…

G.M. : Je suis prudent parce qu’on n’a pas la distance historique, mais la presse occidentale ne pose aucune question, elle relaye avec complaisance ce que disent Porochenko et le gouvernement de Kiev, ce sont toujours les mêmes experts proches de l’OTAN qui sont consultés et jamais des experts russes indépendants, alors qu’il y a des experts – et russes et indépendants ! On ne donne jamais le point de vue russe. Du côté des indépendantistes, ce n’est peut-être pas une démocratie, mais on peut leur donner la parole. Un journal francophone a par exemple écrit 36 fois que la Russie avait envahi l’Ukraine, soit 36 mensonges pour que le dernier soit vrai, soit tout est faux – on ne peut pas envahir le même endroit plusieurs fois !

Guy Mettan pendant l'hommage aux victimes de l'attaque contre le magazine français Charlie Hebdo. 9 Janvier 2015. Crédits : UN Photo / Jean-Marc Ferré

Guy Mettan lors de l’hommage aux victimes de l’attaque contre le magazine français Charlie Hebdo. le 9 janvier 2015. Crédits : UN Photo / Jean-Marc Ferré

LCDR : D’où tout cela vient-il, selon vous ?

G.M. : J’ai essayé de comprendre. Au fond, on n’est pas plus critique que les autres, pourquoi écrire 36 fois que l’Ukraine a été envahie par la Russie ? Soit le journaliste s’est trompé, soit tout est faux et il ne l’admet pas… Je me suis aperçu que tout cela n’était pas rationnel. J’ai fait des recherches sur la généalogie de la russophobie et ai découvert que les préjugés antirusses remontent à Charlemagne et aux luttes religieuses du XIe siècle.

Charlemagne est un séparatiste.

LCDR : Charlemagne ?..

G.M. : C’est un rebelle, un séparatiste, il rejette la supériorité de l’Empire byzantin, c’est le premier choc entre l’Occident et l’Orient grec byzantin, qui s’étendra à la Russie. Charlemagne a tué le christianisme en introduisant notamment dans le credo le filioque : croyance selon laquelle le Saint-Esprit procède du Fils, alors que deux conciles avaient établi qu’il procédait du Père. Le pape dit qu’il ne peut y avoir de filioque dans le credo mais dit à Charlemagne qu’il fait ce qu’il veut chez lui. En 800, le pape se fait jeter dehors par les Romains, Charlemagne le remet sur son trône et demande à être sacré empereur, le pape accepte mais refuse le filioque. 160 ans plus tard, en 960, le pape appelle Othon, roi des Germains, à l’aide pour retrouver son trône puis le couronne empereur, mais refuse encore le filioque – les évêques italiens n’en voulaient pas.

En 962 naît l’empire romain germanique et, 52 ans plus tard, le nouvel empereur romain germanique réussit à introduire le filioque dans le credo. À partir de là, l’Église romaine l’adopte alors que l’Église d’Orient le refuse, arguant qu’il est impossible de modifier le credo. S’ensuit un concile œcuménique qui voit la naissance des cinq églises ; le schisme est né là-dessus, ce ne sont pas les orthodoxes qui se sont séparés du pape mais les catholiques qui se séparent de l’Église des origines. Les théologiens se mettent à dénigrer les Grecs parce qu’ils ne parlent pas latin alors que le latin vient du grec. On se retrouve en 1458, à la chute de Constantinople, les Russes se réclament héritiers de Constantinople et héritent des préjugés. Les clichés du voyageur européen sur ces barbares russes, sous-développés, vivant sous la tyrannie, étaient déjà de rigueur contre l’empereur grec, alors plus le pape devient autoritaire, plus on accuse les autres de l’être. Ça continue pendant la Renaissance et, quand Pierre le Grand apparaît, ces clichés réapparaissent et développent une russophobie moderne.

LCDR : Chaque pays aurait, selon vous, sa russophobie ?

G.M. : Oui, la russophobie française est née à la fin du XVIIIe siècle ; il y a eu des intellectuels russophiles, dont Voltaire est le plus connu, ils sont critiques vis-à-vis de l’absolutisme royal et militent pour des contre-pouvoirs, mais Voltaire estime que le despotisme éclairé est un moyen tandis que Montesquieu et Diderot estiment que la Russie est l’anti-modèle, car il y manque le tiers état, qui seul peut constituer un contre-pouvoir au pouvoir royal ; Montesquieu estime que les aristocrates peuvent être ce contre-pouvoir mais Diderot veut un tiers état. La Révolution française est la consécration de ce tiers état.

Le faux testament de Pierre le Grand apparaît sous Louis XV en France.

LCDR : Et après la Révolution ?

G.M. : Sous Louis XV était apparu le faux testament de Pierre le Grand, dans lequel ce dernier indiquait que ses successeurs devaient conquérir l’Europe. C’était un faux, rédigé par des émigrés polonais. Napoléon le ressort avec Lesur, son propagandiste, qui écrit un livre sur la Russie – quatre cents pages excellentes mais deux pages avec le faux testament, quatre cents pages de vrai pour justifier deux pages de faux, c’est la base de la propagande… le tout quelques mois avant d’envahir la Russie car « la Russie veut nous bouffer », ça montre l’esprit.

LCDR : Et au XIXe siècle ?

G.M. : On a Custine, chef de file des russophobes, qui n’a pas un mot positif sur la Russie et qui ancre dans l’imaginaire occidental une Russie forcément tyrannique. Dans le même temps, Tocqueville fait l’apologie de la démocratie aux États-Unis sans avoir un mot sur l’esclavage.

Les Anglais vont se servir du faux testament de Pierre le Grand pour la guerre de Crimée.

LCDR : Qu’en est-il de la russophobie en Angleterre ?

G.M. : Elle naît en 1815 – aussitôt la victoire acquise sur Napoléon ; des quatre puissances de l’alliance, l’Angleterre et la Russie sont les deux plus importantes, l’Autriche et la Prusse sont secondaires. Les Anglais se retournent alors contre leurs anciens alliés, car si l’Angleterre n’a pas de rival sur mer, la Russie est la première puissance terrestre à porter le principal choc contre Napoléon. Elle découvre cette grande puissance russe alliée à un territoire fantastique, qui peut menacer la route commerciale anglaise en Méditerranée avec le détroit de Constantinople, et l’Empire des Indes si elle s’étend jusqu’à l’Afghanistan. Les Anglais vont alors se rappeler le discours français, ils font traduire le faux testament de Pierre le Grand et s’en servent pour la guerre de Crimée – on utilise les mêmes expressions, Nicolas Ier est un « tyran », il est « expansionniste » (expressions qu’on retrouve pour Poutine en 2015)… tout cela sert d’arguments idéologiques pour l’opinion publique afin que l’on vote les crédits de guerre. Ce sont les Anglais qui inventent la guerre idéologique, il faut créer une opinion publique opposée à la Russie pour justifier les interventions contre elle.

LCDR : Qu’en est-il de l’Allemagne ?..

G.M. : À la fin du XIXe siècle, l’Allemagne unifiée se découvre comme une grande puissance frustrée et sans colonies, que ce soit en Afrique, en Asie, en Amérique latine – les Français et les Anglais ont tout pris. Les Allemands développent alors cette idée d’« espace vital », cherchant des terres à coloniser et, peu à peu, se dégage l’idée d’un espace vital à l’Est, en Ukraine et en Biélorussie – les historiens allemands vont trouver des traces de germanité dans ces pays, un Allemand au Moyen-Âge aurait parlé allemand dans ce coin… le Kaiser veut démanteler la Russie et, en 1918, l’Ukraine indépendante est prise par les Allemands.

Staline fut le premier à construire un camp de concentration, donc ce n’est pas de notre faute…

LCDR : Vous écrivez qu’un « nouvel axe de russophobie allemande » naît dans les années 1980 ?

G.M. : Oui, il y a un courant chez les historiens allemands qui tend à relativiser le nazisme, estimant que le nazisme est la même chose que le communisme ; et notamment Ernst Nolte, qui estime que le nazisme est un héritage du communisme – Staline fut le premier à construire un camp de concentration donc ce n’est pas de notre faute… Ils relativisent l’horreur du nazisme en stigmatisant la Russie encore soviétique. Tout cela crée un ostracisme mémoriel – la Russie disparaît dans sa contribution à la chute du nazisme, on fait naître le mythe du Débarquement en escamotant le rôle de l’Armée rouge, et, dans trente ans, ce seront les États-Unis et la Résistance française qui auront libéré l’Europe. Cet ostracisme est en pleine expansion : tous les présidents sont présents pour commémorer le Débarquement mais on boycotte les cérémonies du 9 mai à Moscou… On voit le soldat Ryan, mais le soldat Popov a disparu, alors que la Russie a perdu 27 millions d’hommes dans la guerre, et les États-Unis, 400 000.

Les russophobies anglaise et américaine ne sont pas idéologiques mais géopolitiques.

LCDR : Parlons justement de la russophobie aux États-Unis…

G.M. : Elle apparaît en 1945, comme en Grande-Bretagne en 1815 : Staline est glorifié en Amérique jusqu’au printemps 1945 mais, à mesure qu’on se rapproche de la fin de la guerre, on s’aperçoit que la Russie est une puissance terrestre qui menace la suprématie américaine mondiale. La russophobie américaine, comme la russophobie anglaise, est fondée sur la géopolitique – la puissance russe fait obstacle à la domination américaine.

LCDR : Et aujourd’hui ?

G.M. : On est dans la réalisation du programme américain fixé par Brzeziński dans son livre Le grand échiquier, paru en 1996. En février 2014, l’Ukraine a basculé dans le camp occidental, il ne manque donc plus que la Biélorussie. On a recyclé le vieux discours contre le despote – Poutine égale Staline, Poutine égale Hitler –, basé sur une opposition permanente : nous qui vivons dans une démocratie contre eux qui vivent dans une autocratie, nous qui défendons la liberté contre eux qui l’oppriment… On perpétue ainsi des clichés qui ont 1 000 ans !


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