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Eurasie

Les tensions azéri-arméniennes 1 et 2

18 Avril 2016 , Rédigé par vilistia Publié dans #ARMENIE, #AZERBAÏDJAN

Crises Russie UE

Aussi séduisante que cela puisse être de croire que l’Azerbaïdjan se comporte comme une marionnette de l’Occident, une telle explication n’est qu’une description superficielle de ce qui se passe et néglige de prendre en compte le récent changement de politique étrangère de Bakou au cours de l’année écoulée. Cela ne veut pas nécessairement dire non plus que l’Arménie, une alliée de la Russie dans l’OTSC [Organisation du traité de sécurité collective], est à blâmer pour les dernières violations du cessez-le-feu, mais montre plutôt en quoi cette série d’événements déstabilisateurs est en fait beaucoup plus complexe que ce que l’on pourrait en penser au premier abord, même si la conclusion générale que les États-Unis en tirent un avantage stratégique intrinsèque est clairement indiscutable.

Au lieu de commencer cette étude un siècle en arrière et de ressasser les interprétations historiques du duel dans lequel les deux parties sont prises au Haut-Karabagh, l’article commence à ce jour et part de l’état de fait existant sur le terrain après le cessez le feu de 1994, quand le territoire contesté a de facto été administré comme un État autonome non reconnu, avec un fort soutien arménien dans tous les secteurs. N’y voyez aucune tentative pour défendre un côté ou dénigrer l’autre, mais plutôt une tentative de comprendre objectivement la situation telle qu’elle est, et de prévoir ses développements.

Pour accomplir cette tâche, il est essentiel que l’analyse commence par une vue d’ensemble des derniers mouvements politiques de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan dans l’année précédant ces derniers affrontements. Ensuite, il est nécessaire qu’une analyse soit donnée sur les limites de l’engagement de l’OTSC russe envers l’Arménie, ce qui contribue ainsi à mettre les actions diplomatiques de la Russie dans la perspective appropriée.

Par la suite, la partie II de l’article sensibilisera sur le stratagème inverse de Brzezinski de déstabilisation périphérique en bordure de zone post-soviétique et comment la récente flambée de violence est probablement partie intégrante de ce plan calculé. Enfin, la série en deux parties se termine en suggérant que l’Arménie et l’Azerbaïdjan remplacent le format de résolution des conflits dépassé du Groupe de Minsk de l’OSCE, par un système analogue avec leurs nouveaux partenaires dans le cadre de l’OCS.

Pas à quoi l’on pouvait s’attendre

Au cours de la dernière année, les trajectoires politiques de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan n’ont pas suivi le parcours que les commentateurs s’attendaient à les voir suivre. Avant de commencer cette section, il est nécessaire de la faire précéder de l’avertissement que l’auteur ne se réfère pas au citoyen arménien ou azéri moyen dans l’analyse qui suit, mais utilise plutôt les noms de leurs pays respectifs de façon interchangeable avec leurs gouvernements, de sorte qu’Arménie se réfère au monde politique d’Erevan tandis qu’Azerbaïdjan se rapporte à son homologue de Bakou. Cette remarque est nécessaire afin d’éviter une mauvaise compréhension par le lecteur, car le sujet est très chargé émotionnellement et peut provoquer une forte réaction, en particulier chez les membres des deux groupes ethniques en cause.

Arménie:

Les stéréotypes géopolitiques dominants concernant l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne sont pas aussi exacts que ce que l’on pourrait penser, et aucun des deux pays n’y adhère avec la force à laquelle on pourrait s’attendre. Il est vrai que l’Arménie est un allié fidèle et loyal de l’OTSC russe, qui y maintient une présence de 5000 soldats, une poignée de jets et d’hélicoptères, un bouclier de défense aérienne en cours d’installation, et peut-être même bientôt desmissiles Iskander. L’Arménie a cependant quand même cherché à diversifier progressivement sa ligne de politique étrangère, en tentant de parvenir à un accord d’association avec l’UE en dépit de son adhésion formelle à l’Union eurasienne.

Cela n’a pas encore produit de résultats, mais l’intention résolue qu’Erevan a clairement manifestée en mai 2015, soulève des questions préoccupantes sur la force avec laquelle son élite a pu être cooptée par les influences occidentales. L’auteur était si inquiet par cette éventualité, qu’il a publié une analyse très controversée, ce mois ci, expliquant les divers stratagèmes par lesquels l’Occident a cherché à courtiser l’Arménie, y compris en versant des larmes de crocodile pour les victimes du génocide au cours de la commémoration du souvenir de son centième anniversaire.

Avec un modèle établi qui a été clairement démontré par le cas ukrainien, plus un pays stratégiquement positionné flirte avec l’Occident, plus il sera vulnérable à une future tentative de révolution de couleur. Il n’est donc pas surprenant, avec le recul, que la déstabilisation d’Erevan ait commencé exactement un mois après que le Président arménien a été vu publiquement avec tant de sespartenaires occidentaux.

Cette poussée anti-gouvernementale était une proto-manifestation de ce que l’auteur décrit dans un document comme des technologies de Révolution de couleur 1.5 qui cherchent à utiliser la société civile et la lutte anti-corruption comme éléments déclencheurs expérimentaux pour tester le déclenchement de mouvements de changement de régime à grande échelle. L’objectif final géopolitique de tout cela, que l’auteur a décrit dans son document déjà cité Electric Erevan, était d’obtenir que des nationalistes arméniens tels que Nikol Pashinyan accèdent au pouvoir, afin qu’ils puissent provoquer une guerre de continuation dans le Haut-Karabagh, pour finalement y entraîner la Russie.

Ils n’ont heureusement pas réussi leur coup, et le président arménien actuel, Serge Sarkissian, a souligné à plusieurs reprises que l’Arménie ne veut pas voir une escalade des conflits dans le territoire contesté.

Curieusement, en dépit de la tentative de modification de régime que l’Occident a essayé de concevoir contre l’Arménie, Sarkissian déclarait encore, au début de 2016, que «la coopération et le développement des relations avec l’UE demeurent une priorité pour la politique étrangère de l’Arménie» et a «exprimé sa gratitude à l’Union européenne pour son aide à mener des réformes en Arménie». En outre, le service d’action extérieure de l’UE indique que les deux parties ont officiellement relancé un processus de négociation, le 7 décembre, dans le but de parvenir à un «nouvel accord (qui) remplacera l’actuel accord de partenariat et de coopération UE-Arménie».

Un analyste de l’UE a fait remarquer, en mars de cette année, qu’il ne croit évidemment pas que cet accord sera identique à celui que l’UE avait proposé à l’Arménie avant son accession à l’Union eurasienne, mais, bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il ne partage pas de nombreuses similitudes avec l’accord précédent, et risque d’avoir des implications géopolitiques pour l’alliance économique entre Erevan et Moscou.

Il faut souligner à ce stade que si l’État arménien est toujours étroitement lié à la Russie sur le plan politico-militaire et fait officiellement partie de l’Union eurasienne, il n’en prend pas moins des mesures économiques fortes en direction de l’Union européenne et de la communauté occidentale. Ceci soulevant l’inquiétante perspective que ses politiques schizophrènes puissent un jour engendrer une crise de loyauté, où Erevan serait forcé de choisir entre Moscou et Bruxelles, comme Kiev a été artificiellement obligé de le faire (et peut-être avec des conséquences de terrorisme urbain similaires pour cause de mauvais choix).

Azerbaïdjan:

De l’autre côté, alors que l’Arménie a repoussé le stéréotype classique en se rapprochant de l’Occident, l’Azerbaïdjan a fait le chemin inverse en se rapprochant de la Russie. Les relations de Bakou avec Washington, Bruxelles,Ankara, et même Tel Aviv (à qui il fournit 40% de son énergie à travers le pipeline BTC) sont bien documentées 1, de même que sa fonction géostratégique comme source d’énergie non russe de l’UE (en particulier dans le contexte du projet Corridor Sud), il ne sera donc pas nécessaire  de rappeler des faits bien connus et établis dans cette analyse. Au contraire, il sera  plutôt  intéressant de focaliser sur la façon dont les liens entre l’Azerbaïdjan et l’Occident se sont considérablement distendus au cours de l’année écoulée. Encore plus fascinant est le fait que tout cela était inutile et n’avait presque rien à voir avec l’initiative de Bakou.

Ce qui s’est passé est que Bruxelles a lancé une campagne de soft power contre Bakou en alléguant que ce dernier avait violé les droits de l’homme et les principes démocratiques, ce qui a abouti à ce que l’Azerbaïdjan annonce, en septembre 2015, l’annulation de la visite prévue d’une délégation de la Commission européenne et «la révision de [ses] liens avec l’Union européenne, où l’anti-azérisme et l’islamophobie sont des tendances fortes». Pour un pays considéré comme étant sous la botte de l’Occident, c’est tout le contraire d’une réaction inféodée et cela respire la défiance vis-à-vis de l’Ouest. Plus tôt cette année, en février 2015, le magazine en ligne Quartz a soudain eu peur que «l’Azerbaïdjan ne se transforme en une mini-Russie», en raison du renforcement de sa sécurité intérieure dans le traitement des menaces asymétriques.

Alors que la résistance de l’Azerbaïdjan a certainement ses limites pragmatiques, en raison des profondes relations stratégiques et énergétiques établies avec l’Occident au cours des deux dernières décennies, il est parlant de le voir réprimander publiquement l’Ouest de cette façon et cela suggère que les problèmes entre l’Azerbaïdjan et l’Occident sont plus profonds qu’une simple dispute. Une partie de la raison de l’aversion occidentale envers le gouvernement azerbaïdjanais, a été la récente et pragmatique émulation de la législation russe, qui vise à réduire l’efficacité des ONG contrôlées par les services de renseignement occidentaux dans la fomentation de révolutions colorées. Ayant perdu son influence sur le pays par l’intermédiaire de l’approche déstabilisatrice post-moderne allant de la population vers le gouvernement, il est très plausible que les États-Unis et leurs alliés décident de trouver un moyen de susciter des affrontements dans le Haut-Karabagh comme moyen de retrouver leur pouvoir sur leur capricieux allié de la mer Caspienne.

Profitant de cette récente mésentente entre l’Azerbaïdjan et l’Occident, Moscou a été en mesure de se positionner avec plus de confiance en tant que partenaire fiable, digne de confiance, non discriminatoire, qui n’ira jamais interférer avec les processus nationaux de Bakou ou conditionner une coopération bilatérale sur les choix de politique intérieure de son homologue. Outre l’influence que la Russie a eue sur la législation azerbaïdjanaise concernant les ONG, les deux parties ont également accru leur coopération militaro-technique, qui a totalisé 4 milliards de dollars en 2013. En 2015, l’Institut Stockholm International Peace Research a indiqué que les dépenses en armement de l’Azerbaïdjan pour la période de 2011-2014 ont augmenté de 249%, avec 85% de ses approvisionnements en provenance de Russie.

Parallèlement à cela, il a également affirmé que les exportations d’armes russes vers l’Europe pour 2011-2015 ont augmenté de 264%, principalement en raison de livraisons à l’Azerbaïdjan. Il est évident que la Russie ne considère pas l’Azerbaïdjan comme un État fantoche occidental irrécupérable, mais applique plutôt une stratégie d’équilibre militaire habile et calculée entre lui et l’Arménie. Bien que ce soit non confirmé par des sources officielles, le chef du département de recherches politiques du Caucase Institute, Sergey Minasian, basé à Erevan, a déclaré qu’en 2009, la Russie fournissait sa base de Gyumri en Arménie, par transit aérien via l’Azerbaïdjan, après que la Géorgie a interdit le survol de son territoire en conséquence de la guerre de 2008. Si c’est vrai, alors cela montre que les relations stratégiques russo-azéries sont à leur niveau le plus haut de l’histoire post-indépendance, et que Bakou a totalement confiance dans le fait que Moscou ne fera rien pour perturber l’équilibre militaire dans le Caucase du Sud, ce qui infirme la peur paranoïaque que certains observateurs azéris ont exprimée à propos de la Russie conspirant avec l’Arménie pour mener une nouvelle guerre dans le Haut-Karabagh.

Calculs stratégique et limites de l’OTSC.

Russie et Arménie:

Tout ce qui a été écrit ci-dessus peut probablement être reçu comme un choc pour l’observateur occasionnel des affaires internationales, car cela va à l’encontre de la logique présumée, mais c’est seulement pour montrer à quel point les stéréotypes géopolitiques dominants sur l’Arménie et l’Azerbaïdjan peuvent être inexacts et ne pas refléter réellement l’état actuel de la situation. Le dénominateur commun entre les deux États rivaux est l’évolution de leur relation avec la Russie, qui, comme on vient de le décrire, semble se déplacer progressivement dans des directions opposées. Encore une fois, l’auteur n’a pas l’intention de donner l’impression que cela reflète le sentiment populaire dans les deux pays ou celui de ses expatriés et communautés de la diaspora, en particulier l’Arménie et ses ressortissants ethniques affiliés, car l’attitude générale à l’intérieur du pays (en dépit du très médiatisé échec de la tentative de révolution  de couleur) et pour la plupart de ses compatriotes à l’extérieur de celui-ci, pourrait en général être décrite comme favorable à la Russie. Cela rend les avancées pro-occidentales d’Erevan d’autant plus déroutantes, mais cela veut surtout dire que la réponse à ce paradoxe réside plus dans la vision (et les incitations monétaires possibles) de la direction du pays, que dans la volonté de son peuple. Pourtant, la  situation n’est pas critique et n’a pas encore approché le point où les relations bilatérales pragmatiques et fiables sont en danger.

Russie et Azerbaïdjan:

Cela étant dit, pour de nombreux observateurs conventionnels, une étroite coopération militaire de la Russie avec l’Azerbaïdjan pourrait sembler tout aussi surprenante que le mouvement pro-occidental de l’Arménie, mais cela peut aussi être expliqué par un calcul stratégique, quoique d’une nature beaucoup plus pragmatique et compréhensible. La Russie aspire à jouer le rôle d’une force charnière d’équilibre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Et, à vrai dire, à la consternation de nombreux Arméniens, la Russie a approuvé les résolutions du Conseil de sécurité affirmant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan le long de ses frontières internationalement reconnues, en particulier la plus récente, la 62/243 de 2008, qui «réaffirme le respect et le soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan au sein de ses frontières internationalement reconnues» et «exige le retrait immédiat, complet et inconditionnel de toutes les forces arméniennes de tous les territoires occupés de la République d’Azerbaïdjan».

Cohérence géopolitique:

Cela ne signifie pas que la Russie est en train de trahir l’Arménie, comme certains experts nationalistes le prétendent, mais qu’elle maintient ce qui a été sa position constante depuis le début du conflit, et respecte le principe directeur international déclaré de soutenir l’intégrité territoriale. La clé de cette compréhension est que la conception de l’intégrité territoriale est un guide, pas toujours irréversible, un principe de la politique étrangère russe. Et l’opération russe d’imposition de la paix en Géorgie, en 2008, qui a conduit à l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, et la réunification, en 2014, avec la Crimée, prouvent que des circonstances particulières peuvent entraîner un changement de cette politique de longue date sur une base de cas par cas. Cela peut être interprété comme signifiant que Moscou, à ce stade (de qualification opérationnelle), ne supporte pas l’indépendance de la République autoproclamée du Haut-Karabagh. Mais, pour être honnête, Erevan non plus, bien que l’État arménien ait tout récemment réitéré sa position antérieure qu’il pourrait reconnaître cette région peuplée d’Arméniens comme un pays autonome si les hostilités actuelles avec l’Azerbaïdjan augmentaient. Par conséquent, la principale condition qui pourrait pousser l’Arménie à reconnaître le Haut-Karabagh comme un État indépendant, et peut-être faire pression sur la Russie pour le suivre, serait l’escalade prolongée du conflit autour de la ligne de contact.

L’unification énigmatique

Même si certains observateurs internationaux peuvent penser qu’une telle démarche serait historiquement juste et attendue depuis longtemps, la Russie a probablement une approche beaucoup plus prudente face à des mesures unilatérales que l’Arménie pourrait prendre pour reconnaître l’indépendance du Haut-Karabagh. Pour répéter ce qui a été précédemment souligné à propos de l’approche politique de la Russie face à ce conflit, cela ne constituerait pas une trahison de l’Arménie, mais serait une évaluation pragmatique et sobre de l’environnement mondial géostratégique, et le fait probable qu’un tel mouvement pourrait instantanément coincer la Russie dans une guerre sans intérêt pour elle. À l’heure actuelle, la Russie a un engagement de défense mutuel avec l’Arménie, qui la rend responsable de la protection de son allié en cas d’agression contre elle, mais cet accord ne prend en compte que le territoire que la Russie reconnaît internationalement, excluant ainsi toutes les forces arméniennes et les détenteurs de passeports du Haut-Karabagh.

Si l’Arménie reconnaît le Haut-Karabagh comme un État indépendant, cela lancerait probablement un processus qui progressera rapidement vers une unification des deux entités arméniennes, ce qui placerait alors la Russie dans la position très inconfortable d’avoir à examiner si elle reconnaîtra une telle initiative unilatérale de son allié et devra étendre son parapluie de défense mutuelle sur ce qui serait alors le nouveau territoire arménien reconnu. D’une part, Moscou ne voudrait pas être perçu comme trahissant son traditionnel allié arménien et engendrant une haine inébranlable dans l’avenir, de l’autre, il pourrait avoir certaines réserves quant à être directement impliqué dans le conflit militaire et perdre à jamais les percées positives engagées avec Bakou.

Les relations russo-azerbaïdjanaises, si elles continuent à être pragmatiquement gérées le long de la même trajectoire constructive, pourraient conduire à Moscou à acquérir une position stratégique sur un important fournisseur d’énergie de la Turquie, de l’UE et d’Israël, lui donnant ainsi une chance de premier plan d’exercer une influence indirecte à leur égard grâce à ses liens avec Bakou. Dans tous les cas, le ministère russe des Affaires étrangères préférerait ne pas être placé dans une telle position, dans un jeu à somme nulle où il serait forcé de choisir entre honorer l’unification unilatérale de son allié arménien avec le Haut-Karabagh en abandonnant sa position potentielle trans-régionale stratégique d’influence en Azerbaïdjan, ou la poursuite de son plan d’acquérir une grande influence trans-régionale via l’Azerbaïdjan, au détriment de son allié reconnu, et risquer de perdre sa longue présence militaire ultra-stratégique dans ce pays du Sud Caucase.

Le problème du Haut-Karabagh est donc un dilemme de proportions géostratégiques de grande envergure pour la Russie, qui fait tout ce qu’elle peut pour rester neutre entre les deux parties, afin de compenser ce scénario tout à fait déstabilisant et ne pas être forcée de choisir un désastreux engagement à somme nulle dans ce qui sera discuté dans la partie II comme étant probablement un dilemme politico-militaire provoqué de l’extérieur par les États-Unis. En outre, l’Arménie et l’Azerbaïdjan veulent conserver le soutien russe et ne veulent pas risquer de le perdre, ce qui explique aussi pourquoi l’Azerbaïdjan se restreint encore militairement contre les forces arméniennes du Haut-Karabagh et pourquoi l’Arménie n’a pas reconnu unilatéralement le Haut-Karabagh ni fait d’effort pour s’unir politiquement avec elle. En conclusion, on peut supposer que le seul acteur qui veut forcer la Russie à ce faux choix sont les États-Unis, qui profite toujours de chaque déstabilisation frappant la périphérie de Moscou et quand son adversaire eurasien est coincé dans un dilemme géopolitique important.

Par Andrew Korybko – Le 4 avril 2016 – Oriental Review

Traduit par Wayan pour le Saker Francophone.

  1. Il est à noter que les récentes découvertes gazières israéliennes en Méditerranée ont peut être réduit l’intérêt du BTC et donc de l’Azerbaïdjan pour l’Occident en général, NdT

Source: http://lesakerfrancophone.fr/w-les-tensions-azeri-armeniennes-12


Les tensions azéri-arméniennes. Un nouveau front dans la guerre hybride ? (2/2)

 

Par Andrew Korybko – Le 4 avril 2016 – Oriental Review

Le Stratagème:

L’auteur a publié une analyse en juin 2014, dans laquelle il expose le concept géostratégique du Reverse Brzezinski, qui est essentiellement un retour aux années 1980 quand les États-Unis utilisaient la stratégie afghane, où ils organisaient des bourbiers dans lesquels la Russie s’affaiblissait, stratégie qui peut également être appliquée contre d’autres grandes puissances comme la Chine. Le projet américain est que certains scénarii de déstabilisation géopolitique peuvent être créés de toute pièce dans et autour de la zone post-soviétique. Cela qui pourrait pousser les Russes à une intervention militaire classique de répression, alors que c’est en réalité un piège fomenté par les États-Unis dans le but d’enliser la Russie dans une guerre inutile qui nuirait à son intégrité physique, matérielle, économique et à son capital stratégique.

Les trois plus probables champs de bataille Reverse Brzezinski actuels sont le Donbass, le Haut-Karabagh, la vallée de Fergana, et il n’est pas surprenant de constater que tous les trois ont connu une soudaine flambée de violence au cours de la semaine passée. A côté de l’évidente situation entourant le Haut-Karabagh dont nous allons parler, la République populaire autoproclamée de Donetsk a mis en garde la semaine dernière, contre une détérioration importante de la situation le long de la ligne de contact avec les forces de Kiev, pendant que l’Ouzbékistan et le Kirghizistan ont évité de justesse des affrontements sur leur frontière, qui menaçaient de se développer rapidement en un conflit plus large. Ces trois exemples de déstabilisations périphériques post-soviétiques et leur éclosion quasi-simultanée, ne peuvent pas être considérés comme une coïncidence, mais font partie de ce que l’auteur avait initialement prévu il y a près de deux ans environ, avec le scénario américain deReverse Brzezinski contre la Russie.

Identifier le coupable

Sur les trois sondes que les États-Unis ont lancées pour évaluer la viabilité du prochain champ de bataille Reverse Brzezinski, celui du Haut-Karabagh est rapidement devenu la scène des combats avec la plus grande échelle et le conflit avec le plus fort potentiel pour dégénérer rapidement en une guerre tous azimuts. On ne sait pas quel camp a tiré le premier et entraîné la dernière série de violations du cessez-le-feu, et en fin de compte, même si tout cela est très important du point de vue normatif et juridique, on ne le saura probablement jamais, à cause des récits contradictoires venant des deux camps. Il y a des arguments convaincants pour soutenir que l’Azerbaïdjan a commencé en vue d’aider la Turquie et les États-Unis dans leur nouvelle guerre froide, mais tous les éléments de preuve mentionnés dans la première partie, montrant une coopération russo-azérie étroite et l’affaiblissement des liens azéri-occidentaux, montre que cette explication reste superficielle (même si elle n’est pas à rejeter entièrement).

De l’autre côté, l’Arménie n’a rien à gagner en essayant d’attirer son allié russe dans une guerre au Haut-Karabagh, si ce n’est de provoquer une consternation publique forte et immédiate de la part de Moscou, si jamais elle soupçonnait que cela soit vraiment le cas. Avec les deux dirigeants arménien et azéri n’ayant aucun intérêt objectif à attiser les flammes d’une nouvelle guerre qui impliquerait forcément la Russie, tous les yeux se tournent une fois de plus vers les États-Unis en se posant la question du cui bono. [A qui profite le crime, NdT]

Le brouillard de la guerre

Pour répéter ce qui vient d’être mentionné ci-dessus, il ne sera probablement jamais établi sans doutes raisonnables qui a tiré le premier et qui a déclenché la pire flambée de violence depuis le cessez-le-feu de 1994. Mais il est très probable qu’un provocateur individuel, ou un groupe, venant d’un côté ou des deux, ait profité du brouillard de la guerre pour déclencher les hostilités actuelles. Ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan n’ont le plein contrôle sur leurs forces au front, et l’état de tension nerveuse et de quasi-guerre auquel ils ont tous deux été exposés au cours des deux dernières décennies (et surtout récemment avec les derniers bombardements de septembre 2015), permet qu’un allumé et/ou des réactions militaires à fleur de peau puissent facilement être provoquées et entraîner une réponse militaire disproportionnée des forces opposées. En fait, à en juger par la longue liste des violations du cessez-le-feu, même avant ce dernier incident, il semble très probable que cela a été le cas à plusieurs reprises auparavant et pourrait même avoir été testé et perfectionné bien à l’avance, par ce qui pourrait en fait être une tentative de sabotage à la Reverse Brzezinski par les États-Unis. Avec les deux parties se limitant pour le moment, et le président Poutine appelant chacun d’eux à s’abstenir de franchir le pas, on dirait que personne ne sait vraiment qui a commencé la bagarre et que toutes les parties se bousculent pour comprendre ce qui se passe et essayer d’empêcher la situation de devenir hors de contrôle pour qu’elle n’endommage pas leurs intérêts avant qu’il ne soit trop tard.

Œuvrer à la paix à Pékin

On ne sait pas dans quelle direction les dernières hostilités peuvent aller, mais il est clair que leur intensité et leur portée sont sans précédent depuis le cessez-le-feu de 1994. Le Groupe de Minsk de l’OSCE pour la résolution des conflits, qui a été créé au milieu des années 1990 et est co-présidé par la Russie, les États-Unis et la France, a pitoyablement échoué à faire des progrès significatifs dans l’amélioration de la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au cours de ses plus de deux décennies d’existence et a montré, face aux derniers événements, qu’il est absolument incapable de calmer la situation actuelle. Pour cette raison, un nouveau format doit être immédiatement recherché, afin d’accroître l’efficacité des mécanismes de résolution des conflits et de prévenir l’escalade incontrôlable de la violence entre les deux parties.

L’auteur a écrit une série en trois parties, il y a presque exactement un an sur ce sujet et comment l’OSC, dans laquelle l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont désormais officiellement partenaires, peut se substituer efficacement au Groupe de Minsk de l’OSCE et alimenter un processus de paix avec l’élan nécessaire fourni par une participation totalement neutre de la Chine. Pour les détails spécifiques de ce plan, le lecteur est vivement encouragé à lire les articles de l’auteur sur Le conflit du Haut-Karabagh: Le Groupe de Minsk de l’OSCE est obsolète, L’OSC sera le nouveau cadre pour le règlement du Haut-Karabagh, et Comment l’Occident empêche l’OSC d’être médiateur dans le Haut-Karabagh, mais le paragraphe suivant résume succinctement les aspects se rapportant au présent article les plus pertinents de cette série.

Contrairement à la Russie, que quelques voix arméniennes et azéries nationalistes accusent faussement d’être biaisée d’un côté ou de l’autre, la Chine n’a pas un tel passif et est généralement considérée par les deux pays et leurs citoyens comme étant complètement neutre dans le conflit du Haut-Karabagh. Grande puissance en forte ascension avec la capacité impressionnante d’exercer une influence dans beaucoup de domaines et dans le monde entier, la Chine est particulièrement qualifiée pour jouer un rôle diplomatique de premier plan en offrant son pragmatisme si stéréotypé pour faire avancer une solution gagnant-gagnant pour tout le monde.

Le seul intérêt de la Chine est que la stabilité soit préservée, afin que sa nouvelle Route de la Soie réussisse à couvrir le monde entier et intégrer autant de coins que possible. Pékin est bien conscient que le conflit du Haut-Karabagh pourrait perturber sa vision du Caucase et évoluer en une désastreuse conflagration qui déstabiliserait bien plus que ses belligérants initiaux.

À toutes fins utiles, la Chine est beaucoup mieux configurée pour négocier entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan que les États-Unis ou la France, deux des trois co-présidents actuels du Groupe de Minsk de l’OSCE ayant échoué, et dans l’intérêt de la solidarité eurasienne et des avantages d’une Route de la Soie multipolaire, il serait préférable que la Chine remplace ses homologues occidentaux dans le processus de négociation et complète le rôle positif de la Russie grâce à la dynamique, qui s’est déjà montrée efficace, du partenariat stratégique russo-chinois.

Pensées finales

L’épidémie de violence dans le Haut-Karabagh a pris de nombreux observateurs internationaux par surprise, mais s’ils avaient été pleinement conscients du rôle des États-Unis et de leur ruse Reverse Brzezinski pour déstabiliser la Russie à tout prix, alors les derniers événements n’auraient pas été trop inattendus pour eux. Ils se produisent à un moment géopolitique significatif, alors que la Russie a gonflé ses muscles en défiant la vision unipolaire des États-Unis pour l’hégémonie mondiale, en participant avec succès à l’opération anti-terroriste en Syrie, et il est raisonnable de se demander si les États-Unis n’ont pas provoqué les affrontements dans le Haut-Karabagh comme une forme de punition asymétrique pour ce développement historique.

Bien qu’il existe de nombreuses théories tourbillonnant autour de qui est à blâmer pour tout cela et quels sont leurs objectifs ultimes, l’explication conventionnelle voulant que l’Azerbaïdjan se comporte comme une marionnette complètement contrôlée par l’Occident n’a pas encore été prouvée dans ce cas et est largement exposée comme étant une réaction stéréotypée superficielle, lorsque les trajectoires géopolitiques récentes d’Erevan et Bakou sont prises en compte. Il ne s’agit pas d’ignorer que l’Azerbaïdjan entretient des relations très étroites avec les fauteurs de troubles éprouvés tels que les États-Unis, la Turquie et Israël, mais il est prématuré de sauter à la conclusion qu’ils avaient demandé à leur partenaire de le faire, lorsque toutes les preuves existantes jusqu’à ce point révèlent que Bakou se rapproche nettement de Moscou. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il ne peut être complètement écarté que l’Azerbaïdjan ait fait cela pour le compte de ses partenaires occidentaux, ou bien que l’Arménie soit coupable de tout, mais que la situation est infiniment plus compliquée que les récits des médias en vigueur et que cette situation est probablement attribuable aux États-Unis qui exploitent le brouillard dangereux de la guerre et plusieurs décennies de tensions installées le long de la ligne de contact.

En outre, la position de la Russie est aussi beaucoup plus complexe que de simplement fournir une assistance à l’Arménie, dans le cadre de l’OTSC, puisque, comme cela a été mentionné précédemment, cette garantie de défense mutuelle ne couvre pas les zones arméniennes peuplées du Haut-Karabagh. Moscou maintient toujours formellement que ce territoire fait légalement partie intégrante de l’Azerbaïdjan, mais il faut comprendre que telle est sa position pour l’instant, position qui pourrait théoriquement changer en fonction des circonstances, comme ce fut le cas pour l’intégrité territoriale de la Géorgie et de l’Ukraine en 2008 et 2014.

Cela étant considéré, la Russie ne veut pas voir l’Arménie et l’Azerbaïdjan entrer en guerre l’un contre l’autre, même si elle protégerait incontestablement son allié de l’OTSC au cas où il serait attaqué sur son propre terrain, c’est-à-dire dans ses frontières internationalement reconnues, mais pas dans la région du Haut-Karabagh. Le problème qu’une guerre arméno-azérie provoquerait pour la Russie est immense, et cela mettrait certainement Moscou dans un dilemme géostratégique dans lequel elle serait forcée par des circonstances indépendantes de sa volonté, de faire face à une décision où l’on perd à tous les coups, sur l’opportunité ou non de soutenir les forces arméniennes dans le Haut-Karabagh.

Bien qu’il n’existe pas encore de proposition de paix qui satisfasse à la fois les Arméniens et les Azéris, il est incontestable que le Groupe de Minsk a clairement échoué dans son objectif d’atténuer les tensions entre les deux parties et de résoudre leur différend. Cela signifie qu’une alternative nouvelle et audacieuse doit être entreprise afin de donner un nouvel élan au processus, et la possibilité la plus probable pour que cela se produise, est que les partenaires au dialogue de l’OSC demandent la médiation de la Chine.

On ne mesure pas encore l’efficacité d’une telle méthode, mais vu que le modèle actuel a lamentablement échoué à atteindre ses objectifs premiers, il n’y a rien à perdre en retirant les États-Unis et la France du processus de résolution du conflit et en les remplaçant par une participation multipolaire et pragmatique de la Chine dans l’espoir de tirer parti du partenariat stratégique russo-chinois et de prévenir un autre effet dramatique de la méthode Reverse Brzezinski.

Andrew Korybko.

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.


 

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